Voici qu’Alain Le Yaouanc s’est mis à écrire sur la pierre la suite de cet étrange, inquiétante pensée qu’il avait jusqu’ici traduite aussi bien par les moyens traditionnels de la peinture que par des collages, atteignant à l’extrême, semble-t-il, de cette songerie de notre siècle, où il se situe au-delà de Braque et de Picasso, de Max Ernst et de Jiri Kolar, lui qui a même donné à cette magie moderne le champ jusque-là inviolé de la sculpture… Voici qu’Alain Le Yaouanc offre par la lithographie passeport à l’esprit d’un temps qu’il a imaginé d’appeler le temps des poutres, et je lui vole les mots sur la lèvre, dans ce Paris devenu tout entier un chantier, un Pompéi où tout semble renoncement à des plans d’architectes chaque jour dépassés, s’élèvent des tours, se creusent des enfers secrets, s’éparpillent les matériaux de reconstruction, les poubelles de tout un peuple réduit à des loges de pygmées sous l’accablement des papiers, du carton, des jouets inutiles, de l’impérissable nylon…
Comment voulez-vous que je dise, sur ce petit espace, l’émerveillement et la surprise ? Il me faudrait, il me faut toujours cent pages pour dire que j’aime. Pour dire ce que j’aime dans cet univers où les pas de l’homme se portent déjà, ses doigts de feu du moins sur d’autres planètes, et dans le champ indéchiffrable des étoiles. Il faut écrire ici minuscule pour donner le sentiment du sans-limites, écrire si petit que les mots nains dont je me sers donnent l’échelle de ce que je pense, et n’arrivent pas plus à le dire que le taureau fixant ses yeux de terreur sur l’enfant toréador devant lui si grand qu’il en perd la tête.
Louis Aragon
Paris, novembre 1973